HALF MAN II

Cantine Tarantine Self-Production presents

HALF MAN II

France, 15 octobre 1945.

Homme barbu avec un chapeau sur une chaise à droite de l’écran, une table devant lui. On ne voit que son profil gauche.

En incrustation : « starring Culte Recel »

« Respirer plus français que moi, y avait pas, mon Général, au risque de m’étouffer avec une baguette d’ailleurs, ou avec un croissant, si vous préférez. Mon credo jusqu’au bout du souffle…

Puis une seule bombe aura suffi pour me faire respirer notre condition à tous ! »


15 mai 1940.

Explosion d’une bombe. À la retombée des poussières se découvre le visage d’une femme à l’œil de la caméra subjective.

En incrustation : « Parisse Mitonne »

Voix off : « Je me retrouvai allongé sur le champ de bataille, ma femme à mes côtés qui me caressait amoureusement le visage. Que faisait-elle en ce lieu ? Derrière elle, ma fille attendait avec son stock de douceur… »

En incrustation : « Fiona Recel »

Voix off : « Je fus le seul en tout cas parmi tous les combattants à pouvoir lui rendre ses gestes. »

Apparaît son bras gauche qui se pose sur la joue droite de sa femme. Puis plan très large sur le champ de bataille, une lumière crémeuse y enlace des formes en mouvement comme une matière primordiale.

Voix off : « La plupart des autres, camarades ou ennemis, étaient dépourvus désormais de tous leurs membres, si ce n’était de leurs têtes, ou s’ils n’étaient tout simplement pas réduits à l’état de bouillies de chair. »

Écran noir pendant quelques secondes.


Plan serré sur son profil gauche. Sa voix semble chuchoter à nos oreilles, en même temps qu’un je ne sais quoi de rauque nous plonge dans nos propres méandres :

« Partout, leurs mères, leurs petites amies ou leurs enfants, tous accroupis à leurs côtés, déblatéraient un jargon propre à la plus absolue compassion. Je ne me suis jamais réveillé de cette vision, cette vision est la réalité, mon Général. Cette bombe a seulement réintroduit chez moi la moitié compatissante de l’Humanité. Ces êtres existent en permanence à nos côtés, je les vois tels que je vous vois en ce moment, dans toutes les langues, de toutes les Nations. Non, rien n’a de prise sur tel don de soi malgré toutes les plaines, les montagnes et les gouvernements qui séparent parfois ces êtres d’un être qu’ils chérissent…

Mais je n’ai compris cela que trop tard, c’est le principe commun à toutes les sales journées ! »


Dans leur cuisine, sa femme moud quelques grains de café avec un moulin Peugeot pour obtenir une mouture assez grossière qu’elle place au fond d’une cafetière à piston. Après y avoir versé de l’eau chauffée jusqu’avant ébullition, elle regarde amoureusement la caméra.


Plan plus large, nous permettant de voir l’intégralité du côté gauche du corps de l’homme. Il pose une tasse de café sur la table, une légère mousse sur sa barbe :

« Merci, mon Général… Ce café est bon, mousseux comme je l’aime. Ma femme m’en prépare de trop légers, les seuls que ma moitié d’estomac peut encore supporter, pense-t-elle. »

Un lent travelling vers la gauche nous fait progressivement découvrir son corps entier auquel manque l’intégralité de la partie droite, puis l’homme renverse maladroitement sa tasse de café, laissant se répandre le restant de liquide.

« Ah, désolé, mon Général, donnez-moi une éponge, je nettoierai ! Ces satanés tremblements dans ce bras… Il n’est plus vraiment le même depuis que son homologue s’est volatilisé. Et les cafés se renversent trop souvent… Mais savez-vous lire dans le café, mon Général ? »

Avec sa main, il étale la flaque de café au centre. La caméra s’attarde sur elle :

Voix off : « Voyez-vous comme moi les petites volutes tout en dégradé de beige que malmène déjà le noir pétrole ? Dans quelques minutes, elles ne seront plus qu’une vague intuition de beauté derrière l’obscurité totale rétablie ! »

La caméra est placée derrière l’épaule droite du Général. En arrière-plan des fourreaux, notre homme :

« La nuance n’a nulle part sa place dans notre monde, mon Général, et il faut lui enseigner à considérer les petites volutes pour les maintenir à la surface des choses. Peut-être vous-même vous émerveillez-vous devant la grandeur de votre Administration qui semble considérer votre bonheur jusqu’à pourvoir notre entretien de ce délicieux café ? »


Une vieille dame dans sa cuisine touille le café dans une tasse.

Voix off : « C’est que vous ne voyez pas cette vieille dame qui touille dans votre tasse à l’instant où je vous parle, très certainement votre mère, votre représentante personnelle des petites volutes qui ne s’expriment jamais que par la pudeur. »


Haussement d’épaules du Général.

« Comment, vous la voyez ? Alors vous vous pelotonnez sans doute déjà sous ses caresses… À la bonne heure, mon Général, votre air n’est désormais pas plus français que le mien. Vous avez donc connu votre propre bombe, d’où votre singulière condition personnelle ! »

Gros plan sur le profil gauche de l’homme.

« Mais, si je ne m’abuse, mon Général, c’est aussi que l’idée de bombe ultime est en germe en vous et c’est sans doute pour cela que vous avez souhaité me rencontrer… »

La caméra effectue un zoom arrière puis un travelling gauche permettant de découvrir le Général, corps sans tête dont nous allons pouvoir suivre les gestes.

En incrustation : « Samule Le Taxon »

Voix off : « C’est moi qui viens de vous prendre votre main, votre tête se trouve juste à sa droite, sous votre képi, la sentez-vous ? Bien, saisissez-la maintenant de vos deux mains et suivez le mouvement de ma main : votre tête est désormais juste au-dessus de votre cou, abaissez-la et, hop !, il ne me reste plus qu’à actionner votre fermeture éclair… Zip ! Ah, cette médecine moderne, vous voilà comme neuf, mon Général ! »

Le Général marmonne depuis sa gorge des choses incompréhensibles. La question des cordes vocales est une question encore non-résolue par la médecine moderne.

Long silence, aussi long qu’est intense l’échange de regard entre les deux hommes.


2 novembre 1945. Dans le Palais de l’Elysée, Conseil des Ministres élargi. On voit le Président De Gaulle et l’ensemble de ses ministres accueillir le Président Truman avec sa délégation.

Voix off : « Pour célébrer la fin de son premier gouvernement, Charles de Gaulle souhaite vous inviter à un dernier Conseil des Ministres élargi, afin que vous évoquiez devant tous les horreurs subies dans nos rangs du fait de l’invasion allemande. Et vous avez pensé à moi pour vous accompagner et contribuer à un témoignage des plus probants ! »


Le Général marmonne encore, puis sourit de toutes ses dents.

« Ha, ha, vous avez raison, notre gouvernement et ce nouveau Président américain doivent aussi tâter du principe commun à toutes les sales journées ! »


Image d’une petite bombe cachée sous des habits, maintenue au corps grâce à un chatterton. Une loupiote rouge s’éclaire à intervalles réguliers.


« L’ultime bombe sera là, sous nos effets, qui obligera tous nos représentants à tendre l’oreille et ouvrir les yeux à la moitié compatissante ! »

Le Général marmonne d’étonnement.

« J’ai dit nos effets ? »

Notre homme se dresse grâce à une béquille, lève sa main gauche pour saluer militairement le Général :

« C’est que je serai à vos côtés bien entendu, mon Général ! Deux bombes ultimes valent mieux qu’une ! »


Vus de dos, les deux hommes gravissent difficilement les marches du perron de l’Elysée, le Général servant de béquille à notre homme pour remplacer sa moitié droite. Par politesse, les deux ont enlevé leurs couvre-chefs. Notre homme tient la tête du Général, vissée sous son képi, sous son aisselle gauche, afin que le Général ne puisse éventuellement la perdre.

Vue de face désormais, nous pouvons les voir enjamber la dernière marche. Derrière eux, une masse immense constituée de la moitié compatissante. La femme de notre homme et sa fille lèvent leurs poings droits en silence, l’ensemble de la masse exécutent dans la seconde le même geste.

Cet article a été publié dans Saison 5 (2019-2020). Ajoutez ce permalien à vos favoris.

2 commentaires pour HALF MAN II

  1. Aliana62 dit :

    Je en suis pas sûre de tout comprendre …

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  2. guidru dit :

    Peut-être n’avez-vous pas lu les épisodes précédents :

    HALF MAN

    Searching for HALF MAN


    Après, si vous ne comprenez pas, sans doute sera-ce de ma faute de ne pas être assez compréhensible.

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