Métem-psychose

cerveau-1200x600Dans ce corps qui n’est pas le mien enfin mieux vaudrait sans doute dire dans ce corps qui n’était pas le mien puisque par la force des choses car je n’ai pas choisi ce corps est le mien et donc mieux vaudrait sans doute  dire dans ce corps qui est le mien même s’il n’était pas le mien puisque par la force des choses car je n’ai pas choisi ce corps est n’est pas le mien et donc mieux vaudrait sans doute dire dans ce corps qui est n’est pas le mien même s’il n’était pas le mien même s’il n’est pas le mien même s’il est le mien corps que je n’ai pas choisi corps qui m’a attiré corps qui m’a aspiré comme pour me donner une dernière chance mais dans la conjoncture difficile que traverse le monde la dernière chance n’est pas la meilleure et je le sais fort bien l’instinct de survie plus fort que la pulsion de mort a présidé à ma transmutation dans ce corps qui est maintenant le mien même si j’ai l’étrange sentiment de ne pas être comment dire l’étrange sensation sans doute voilà qui est mieux de me trouver comme à l’étroit pourtant cette enveloppe corporelle est confortable ample vaste comme une cathédrale l’image est excessive mais bref à l’étroit comme si la place que j’y ai trouvée était déjà ou encore occupée par l’ancien locataire ou par un nouveau locataire plus prompt que moi à transmigrer je sais dorénavant que l’on n’est jamais propriétaire d’un corps et qu’un coucou peut fort bien s’y inviter en quête du nid douillet d’une enveloppe charnelle libre mais vous m’avez compris en somme que j’ai trouvé refuge dans un habitacle dont l’occupant n’avait eu ni le temps ni le loisir ni le désir peut-être ni la nécessité de s’échapper pour rejoindre l’infini appelons cela comme ça encore que l’éternité que cet habitant dont les habitudes de vie en même temps que son corps j’ai récupéré son logement me laissent penser qu’il n’était pas de l’espèce des intellectuels encore moins des êtres sensibles dont j’ai la certitude d’être un digne représentant et donc de ce point de vue mon intelligence et ma sensibilité ne devraient sans doute pas rencontrer grande difficulté à vaincre sa finesse mais s’agit-il de ce combat-là je ne pense pas ce qui expliquerait d’ailleurs les résistances rencontrées dans le déroulement de mon quotidien récent le troublant sentiment de ne pas disposer toujours d’une liberté d’action de choix de mouvements dont j’ai de toute éternité si l’on peut utiliser pareil gros mot pour évoquer une cinquantaine d’années pu jouir du fait d’un tempérament libertaire d’une volonté d’autonomie mieux d’indépendance et de total épanouissement trouvé dans la fréquentation assidue d’une solitude même relative mais assumée choisie et vécue avec un certain bonheur à mes heures d’un caractère parfois égocentré ne nous mentons pas mais jamais égoïste je dois à la vérité de nuancer cette analyse psychologique de mon moi profond car bon nombre des actes que je commets ces derniers temps l’expression est on ne peut plus adaptée aux temps troubles que connaît ce monde ne sont pas le fruit de ma seule volonté ou d’une adaptation à la situation j’en veux pour preuve les heures consacrées ces dernières semaines à arpenter la ville en me contentant d’observer la triste danse macabre exécutée sous mes yeux par les milliers de corps sans vie tout autour de moi et les corps bien vivants des charognards bêtes sauvages et affamées ou encore l’acte sauvage sans foi ni loi perpétré dans la zone commerciale ce jour où sans rien comprendre à tout cela sans en avoir décidé par moi-même en toute conscience mais comme poussé par un autre différent le tout en totale inadéquation avec mes valeurs je me livrai je me laissai aller à allumer un incendie volontaire auquel je trouvai finalement une justification acceptable par un esprit tel que le mien et qui embrasa toute la zone avec pour effet de détruire en un acte de barbarie inutile des réserves matérielles disponibles et je dois en convenir après coup si je m’en voulus bien un peu de m’être laissé embarquer contre mon gré contre moi-même contre mon moi véritable dans un geste misérable comme celui-là je dois à la vérité de le confesser je pris un certain plaisir à contempler le résultat d’une série de gestes simples d’une grande banalité et fonctionnels si on les isole de leurs néfastes conséquences et même si on ne le fait pas d’ailleurs dans la mesure où tout est foutu tout semble aujourd’hui irrémédiablement diablement définitif achevé passé fini désert et vide oui vide vide d’êtres vide de vies humaines vide de sens vide d’avenir vide de raison vide de raisons d’y croire ne serait-ce qu’encore un peu vide d’espoir vide sans vouloir porter sur la situation le regard noir du nihiliste ce dont je me garderais bien mais vide de tout mais suis-je le seul à me garder j’en doute et me vient l’idée de me garder de l’autre avec qui il se peut bien que je cohabite en ce corps que j’habite si nos ego sont encore seulement séparés je veux dire comme jumeaux dans le ventre d’une mère reliés par leur seule coprésence car rien après tout ne le prouve puisque comme je le disais comme je me le répète sans cesse je n’entends aucune voix dans ma tête enfin dans sa tête et nous ne communiquons pas ni ne disputons je n’ai rien à lui dire et ne lui dis rien je l’ignore autant que je peux même s’il se manifeste un peu trop à mon goût j’ai en effet comme l’impression que nos esprits ont fusionné ce qui d’une certaine façon est pire rien ne pourrait m’inquiéter plus avouons-le un monstre hybride bâtard enfanté par la copulation du contenu de sa matière grise avec celui de ma matière grise une collusion immonde collision infâme bouillie d’esprits omelette brouillée de neurones ennemis bouillasse d’hémisphères bouillabaisse de lobes de ventricules d’hypothalamus et d’hypophyses cervelas de cortex et de cervelets j’en ai la triste impression

E.B.

Cet article a été publié dans Saison 4 (2018-2019). Ajoutez ce permalien à vos favoris.

2 commentaires pour Métem-psychose

  1. guidru dit :

    Beckett + Thomas Bernhard = Eric Bouffay

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